L’heure noircit et forcit, le rêve surgit du songe et je rêve le songe, je rêve.
La vision vient d’en haut, la vision naît du rêve, la muse inspire-t-elle le rêve ou les dieux parlent-ils aux hommes aux travers du rêve, le poète devenant le confident de son entour, le réceptacle de l’humeur de la terre, l’inspiré de la déesse lui accordant un avancement d’hoirie ?
L’heure s’épaissit s’en allant vers la nuit, et je rêve le songe, devenant l'allocutaire de la divinité, je disparais. Le temps se confond et je me fais l’envoyé, je suis l’annoncé et je marche vers les hommes.
Le rêve éclaire le songe, la lumière se fait dans le noir, animé de dieu j’avance dans le monde sous le soleil, et je me confronte au premier être rencontré, un enfant et l’impudent me vole.
Je m’enfonce dans l’éclairé verdoyant du lieu, j’avance dans la ville, symboliquement reflétant le monde, d’un côté, sur la gauche des habitations, sur la droite une colline.
La rue s’allonge et s’étire, le soleil haut dans le ciel poudroie, la lumière verdoie, j’avance dans la rue, nul passage humain, hormis une silhouette se tenant devant un magasin d’antiquité.
J’avance dans ce lieu à la rencontre de l’antiquaire, et il rit à mon approche, l’homme rit fort, des gens sortis de nulle part, si ce n’est du rêve, tentent de le faire taire, le bastonnent, le flagellent mais l’homme rit encore plus fort.
La Bête se redresse, pose les mains sur ses hanches, prend une posture narquoise et rit de son rire infini.
Insensible aux coups, l’antiquaire quelque peu difforme comme un infra-homme me suit et rit, je demande que l’on cesse de le frapper, j’avance dans la rue et la Bête continue à rire de son rire infini, il me le jette à la face comme une insulte à la vie.
Je gravis la colline et me dresse de tout mon haut, je contemple les nations alignées les unes à côté des autres comme de petites scénettes qui dessinent la trame d’une pièce.
Je m’en vais à la rencontre de la première nation et je vois des hommes vautrés sur des hommes, des femmes enlacées à des femmes, faisant corps à leur vice, leur bouche concupiscente, leurs yeux salaces me narguent. Ils sont à la Bête, ils sont enchaînés à leur dépravation.
J’avance vers la deuxième nation, un groupe d’hommes et de femmes réunis, attablés festoient, mangent se goinfrent. Ils sont obèses et ils mangent à se rompre le ventre. Leur bouche vorace dédiée aux plats, leurs yeux licencieux à la nourriture. Ils sont à la Bête, enferrés dans leur dérèglement.
La colline est verte, les arbres en feuilles, je marche vers la troisième Nation, des hommes rassemblés dans des cris, ils jouent à des jeux d’argent. Je les regarde lancer les dés, d’autres jouent au poker, leur bouche en attente, leurs yeux s’illuminent d’une émotion fornicatrice comme d’un frisson de plaisir. Ils jouent plus que l’argent, ils sont à la Bête, ils sont pénétrés de leur turpitude.
J’avance le long de la colline à la rencontre de la quatrième nation, et je vois des êtres étranges, se prélassant ou assis ou debout comme inerte, leur bouche est sans envie, leurs yeux sans désir, comme absents d’eux-mêmes, ils sont en dehors du monde, ils sont à la bête, ils sont attachés à l’absence.
Je poursuis mon chemin, comme passant en revue les troupes et j’arrive à la cinquième nation, des femmes et des hommes, assemblés médisent jalousent, insultent, je regarde leur chevelure qui se confond avec un nid de vipères, et sur leurs têtes des serpents sifflent, se menacent, se mordent. Ils sont à la Bête, ils sont attaches à leur mauvaiseté.
Je les laisse à leur sort et j’arrive à la sixième nation, il n’y a qu’un homme dans un bureau, assis devant une table, il s’accroche de ses mains de rapace à un monceau, à un tas de billets de banque comme s’il était une bouée de sauvetage. Sa bouche écume de plaisir, ses yeux s’illuminent de bonheur. Il est à son dieu et lui voue son culte. L’homme est à la bête, il est lié à sa cupidité.
Tristement, je me détourne de lui, je laisse l’avide à son égarement à ses illusions, je m’en vais à la rencontre de la septième nation. Des hommes colériques se battent, c’est la guerre, ils s’entretuent, le sang ruisselle, rougit la verte colline. L’œil attristé, je les laisse à leur débordement, ils sont à la bête, ils sont englués dans leur violence.
Je descends de la colline des nations, de la colline des sept nations et des sept douleurs où les hommes se fourvoient et s’égarent.
Mes disciples m’attendent, ils sont venus à ma rencontre, je prends place dans la limousine, et j’entends au loin la bête qui me regarde et je vois son rire infini qui se répercute dans la ville.
La Bête est triomphante et son rire est sa joie.
Je m’éloigne de sa joie, mais son rire infini continue de résonner sur les nations.
Evariste Zéphyrin
Rêve fait dec. 1999
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