vendredi 1 juillet 2011

« Le sida n'existe pas » : le VIH aussi a ses théories du complot


Sur le Web, les révisionnistes scientifiques du sida s'en donnent à cœur joie. Des théories qui nuisent à la prévention de la maladie.


Loin de disparaître avec les récents progrès dans la lutte contre l'épidémie, le phénomène révisionniste doutant des origines du sida, ou plus simplement la négation de l'origine virale de cette maladie – qui a pourtant fait 30 millions de morts en 30 ans – a paradoxalement trouvé un nouvel essor ces dernières années sur le Net.
► Cet article est extrait d'une enquête dans le cadre d'un ouvrage
coécrit avec Didier Lestrade sur les trente ans du sida (à paraître en 2011,
Editions Fleuve Noir). Il a été raccourci à l'occasion de sa publication sur Rue89.

Parfois, il s'agit d'idéologie, de délires scientistes. D'autres fois, de prétendus « traitements alternatifs » du sida. Un sujet particulièrement d'actualité à l'heure où la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) fait un gros plan sur les « magouillothérapeutes » du cancer.
En juin 2011, les termes « le virus du sida n'existe pas » donnent 73 000 résultats sur Google, en dépit des progrès faits, tant dans la connaissance du virus et de ses mécanismes de destruction que dans les traitements. Echappant à tout comité de lecture, à toute modération, ces thèses nient la cause médicale du sida, voire son existence, et ont trouvé sur la toile un terrain de propagation idéal.

Internet, transmetteur des théories négationnistes du sida

On utilise le terme de négationnisme pour distinguer le révisionnisme tendant spécifiquement à contester la réalité de crimes contre l'humanité, s'agissant tout particulièrement de la négation de la Shoah… et du sida.
Le sida est devenu le nouveau thème de ceux qui nient en bloc, ou qui cherchent un complot derrière chaque événement de la planète. Tara C. Smith et Steven P. Novella, scientifiques spécialistes de la question, déclarent :
« Internet a servi de médium fertile et non référencé pour répandre ces croyances négationnistes.
Le Groupe pour la réévaluation scientifique de l'hypothèse VIH/SIDA (Reappraising AIDS) notait : “Merci à l'ascendance d'Internet, nous sommes maintenant capables de revigorer notre campagne d'information.”
Internet est un outil efficace pour cibler les jeunes, et pour répandre tout type de désinformation à l'intérieur d'un groupe à hauts risques d'infection par le VIH. »
En réponse à ce phénomène, des sites officiels, comme celui du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NAID) ou celui des Centers for Disease Control, ont mis en ligne des articles répondant point par point aux théories révisionnistes du sida.

Les négationnistes du sida, vaste nébuleuse hétéroclite

En y regardant bien, ces théories peuvent être classées en trois groupes :
  • la théorie du complot – du savant fou à Big Pharma, en passant par le gouvernement américain ;
  • l'ésotérisme – de la carence en zinc au venin de serpent comme cause du sida, en passant par les ovnis ;
  • enfin, toutes celles qui servent objectivement une cause – que ce soit la défense de l'Afrique, l'attaque de l'impérialisme états-unien, le racisme ou l'homophobie, la promotion des médecines alternatives ou des tradithérapies, les mouvements anti-vaccin, etc. Ce dernier groupe est celui où on retrouve le plus d'ex-scientifiques poussant leurs pions et disséquant les données scientifiques disponibles à l'infini. Ils surfent sur les incertitudes du moment tout en détournant la parole, malheureuse ou franchement hasardeuse, de certains chercheurs (re)connus.
Les révisionnistes du sida forment une vaste nébuleuse très hétéroclite qui va du guérisseur africain à certains groupuscules barebaker, sans oublier les chefs d'Etat à l'image de Thabo Mbeki en Afrique du Sud, et les humoristes comme Dieudonné.
Le point commun : ils mettent en doute l'existence du sida en tant que syndrome, celle de son virus le VIH, ou de la corrélation entre les deux.
D'aucuns ont même tenté de démontrer sur eux-mêmes que le risque VIH n'existait pas. Un certain Dr Willner a ainsi mis en scène devant les télévisons espagnoles une prétendue auto-contamination en direct à la télé. Lors d'une conférence à Arrecife en 1993, il se pique le doigt avec une aiguille qu'il vient de piquer dans le doigt d'un séropositif… (Voir la vidéo)

1La théorie d'Edward Hopper : un vaccin animal contaminé en RDC

La « contre-théorie » des origines du sida qui connaît probablement la plus grande audience, encore en 2011, est celle du vaccin anti-polio oral de Hilary Koprowski comme cause avancée du passage du chimpanzé à l'homme.
Le journaliste Edward Hooper suggère en 1999 que l'introduction du VIH dans la population humaine est due à un vaccin antipoliomyélique oral, administré par le docteur Hilary Koprowski entre 1957 et 1960 dans l'ex-Congo Belge, aujourd'hui République démocratique du Congo.
Hooper fait le lien entre le laboratoire de Stanleyville en RDC sur le camp Lindi – un camp d'élevage de chimpanzés installé à proximité – et la recherche que menait alors le virologue Hillary Koprowski sur l'hépatite et la polio dans cette région d'Afrique.
Selon lui, les premiers vaccins de ce type ont été en effet « produits à l'aide de cellules de chimpanzés contaminées par le virus du sida du singe ». Cette thèse est d'ailleurs reprise par d'autres courants révisionnistes du sida et utilisé par les groupes de pression anti-vaccination, y voyant là une preuve des méfaits vaccinaux.
En 2000, la première contre-expertise de la Royal Society est menée par le chercheur vaccinal Stanley Plotkin. En commençant par interroger les protagonistes de la campagne africaine de vaccination dans les années 1950. Tous démentent l'utilisation de cellules de reins de chimpanzés.

Confrontation et réfutation de la théorie du « sida du singe »

Une confrontation est organisée entre Edward Hooper et Hillary Koprowski. En septembre 2000, la première conférence sur les origines du sida est donc organisée à la Royal Society de Londres.
Des preuves irréfutables contredisent alors le travail de Hopper.
Après des années de débats et polémiques, le clou est enfoncé avec la publication d'un article de Michael Worobey en avril 2004 dans la prestigieuse revue Nature, intitulé « Contaminated poliovaccine theory refuted » (la théorie du vaccin polio contaminé réfuté). Une réfutation totale qui porte sur trois arguments :
  • la divergence génétique importante entre le VIH1 présent dans les populations locales vaccinées et le SIVcpz trouvés chez les chimpanzés ;
  • les études d'horloge moléculaire qui démontrent que le VIH1 était localement présent dans la région Kisangani de RDC plus de trente ans avant les expériences de vaccination contre la polio par Hillary Koprowski ;
  • l'absence de traces ADN du SIVcpz dans les préparations vaccinales conservées.
Edward Hooper a depuis contesté ces trois argumentaires et crié au « conflit d'intérêts » des signataires. Mais si la polémique s'est éteinte dans les publications scientifiques, elle continue sur le net.
La vidéo d'Edward Hooper, intitulée « Les Origines du sida » est encore hébergée en plusieurs endroit du Web et arrive dans les premières occurrences en tapant « origine africaine du sida » dans Google. Au point de troubler ceux qui suivent de loin l'histoire du sida.

2La théorie de Peter Duesberg : le sida est une invention

Peter Duesberg, professeur de biologie moléculaire et cellulaire à Berkeley, est un scientifique de renom ayant travaillé, paradoxe de plus, sur les rétrovirus. Il est également sans doute le premier et le plus titré des révisionnistes du sida.
Il publie en 1996 le livre « Comment on a inventé le virus du sida » et un article scientifique du même titre dans le British Medical Journal, qui occasionnent plus de 500 commentaires, majoritairement de soutien.
Le livre est soutenu et introduit par un prix Nobel de chimie en 1993, Kary Mullis. Ses provocations augmentent le niveau de confusion. Kary Mullis, tout Nobel qu'il soit, se montre incompétent en ce qui concerne le sida et figure parmi les plus beaux pétages de plomb post-Nobel : il s'illustre notamment en déclarant vouloir prélever des cellules du patrimoine génétique de certaines personnalités pour les intégrer dans des bijoux. Il déclare dans cette préface :
« Nous savons que l'erreur est humaine, mais l'hypothèse VIH/sida est une erreur diabolique. Je dis cela à voix haute en tant qu'avertissement. Duesberg le dit depuis très longtemps. Lisez son livre ! »
On peut résumer la thèse de Duesberg par ces propos :
« Je propose que le sida ne soit pas considéré comme une maladie contagieuse provoquée par un virus ou un microbe classique, car aucun virus ou microbe ne mettrait en moyenne huit ans pour provoquer une première maladie, ni ne toucherait de façon sélective uniquement les individus qui ont habituellement un comportement à risque, ni ne serait capable de provoquer un cumul de plus de vingt maladies dégénérescentes et néoplasiques.
Un virus ou un microbe classique ne pourrait pas non plus survivre s'il était transmis de façon aussi inefficace que le sida et tuait son hôte au cours du processus. Les virus classiques sont soit hautement pathogènes et faciles à transmettre, soit non-pathogènes et latents et par conséquent très difficiles à transmettre. […]
En réponse à cette opinion, on fait souvent remarquer que les risques liés au sida existent depuis longtemps, alors que le sida est censé être un nouveau syndrome. Cependant, cet argument ne prend pas en considération le fait que les groupes à risque principaux – homosexuels et consommateurs de drogue par voie intraveineuse – sont devenus apparents et acceptables aux Etats-Unis seulement durant les dix à quinze dernières années, à peu près au même moment où le sida a commencé à apparaître.
L'acceptabilité a facilité et probablement accru les comportements à risque, d'où la fréquence des nombreuses maladies maintenant appelées sida. Il a été signalé que la consommation accrue de drogues avait fait augmenter le nombre de décès liés à la drogue, même si l'interprétation préférée était celle de contaminations par le VIH non-confirmées.
D'ailleurs, la permissivité particulière à l'égard de ces groupes à risque dans les métropoles a encouragé le regroupement des cas nécessaire à la détection du sida. »
Après des années de polémiques, le professeur Peter Duesberg a un peu perdu de sa superbe de provocateur révisionniste. Son dernier article sur le sida date de 2009 mais il n'en reste que le titre : « HIV-AIDS hypothesis out of touch with South African AIDS - A new perspective » (l'hypothèse du VIH-sida hors de propos avec le sida sud-africain - une nouvelle perspective).
En effet, sur la base de données scientifiques, il est retiré de la bibliothèque médicale PubMed car il « porte préjudice à la santé publique globale ».

3La théorie « Big Pharma » : l'industrie du médicament a tout provoqué

« House of Numbers », le documentaire révisionniste de Leung Brent, est branché sur une autre théorie du complot : celui de « Big Pharma ». La cible, cette fois, est l'industrie du médicament et du vaccin qui, « pour multiplier leurs bénéfices, met en avant une maladie pour vendre ensuite un vaccin qui, soi-disant, la “traite”. C'est toujours la même vieille combine, que l'on parle de cancer du col de l'utérus, de grippe porcine ou de sida. »
En utilisant assez habilement au passage les errances de Luc Montagnier, corécipiendaire du prix Nobel de médecine 2008 pour la découverte en 83 du VIH.
Il est à noter que les propos ou les recherches du Pr Luc Montagnier ont souvent été, paradoxalement, l'otage involontaire de théories visant à nier l'existence même du virus qu'il a codécouvert. Certains ont vu dans la théorie des « cofacteurs », qu'il défend sans nier le poids du VIH, une alternative à la relation de causalité entre VIH et sida.
Particulièrement avec la théorie des mycoplasmes comme cofacteur pouvant jouer un rôle dans la pathogénie du VIH, travail auquel j'ai personnellement cru et collaboré durant mes années pasteuriennes. Des errances qui risquent de refaire surface avec le ralliement partiel de Luc Montagnier à la « mémoire de l'eau » de Jacques Benveniste.

4La théorie australienne : rien ne prouve que c'est une maladie

Le Perth Group nie quant à lui :
  • l'origine virale du sida ;
  • la fiabilité des tests de dépistage du VIH ;
  • le fait que le VIH attaque les lymphocytes CD4 ;
  • toute efficacité des médicaments antirétroviraux tels que l'AZT et la capacité de la Nevirapine à diminuer la transmission mère-enfant.
Selon ce groupe, fondé par des médecins australiens :
« Les experts du VIH/sida n'ont pas prouvé :
  1. l'existence d'un unique rétrovirus exogène acquis, c'est-à-dire, l'existence du VIH ;
  2. que les tests d'anticorps du “ VIH ” sont spécifiques au “ VIH ” infectieux iIl s'agit d'une prise de conscience qui a un succès fou. Ça indique que tous les soi-disant “ tests du sida ” sont fondamentalement du charlatanisme) ;
  3. la théorie du VIH dans le sida, c'est-à-dire que le VIH provoque l'immunodéficience acquise (que la destruction des lymphocytes T4 entraîne l'immunodéficience acquise) ou que l'immunodéficience acquise entraîne le développement du syndrome clinique du sida ;
  4. que le “ génome du VIH ” (ARN ou ADN) provient d'une unique particule rétrovirale, exogène, acquise, infectieuse ;
  5. que le VIH/sida est contagieux, que ce soit par le sang, les produits sanguins ou les rapports sexuels (sic ! ) ;
  6. la transmission de la mère à l'enfant d'un rétrovirus VIH ou son inhibition par l'AZT ou la névirapine. »
Le Perth Group estime par ailleurs que :
« L'AZT (principale panacée de Big Pharma contre le sida) ne peut pas tuer le “VIH” et est si toxique qu'il se peut, en fait, qu'il provoque effectivement quelques cas de sida. »
Le Perth Group a proposé le stress oxydatif comme étant la cause unique du sida.

En 2011, le révisionnisme du sida toujours vivace sur le Net

Février 2011. Sur le site Sidaventure, un pur exemple de révisionnisme sida, sous le titre « 11 février 2011, le sida a été crée au fort Mc Kinley, aux USA, révèle un rapport du FBI ». Avec ces précisions, (fausses évidemment) :
« Un rapport révèle que le virus du sida a été créé en laboratoire par les USA pour réduire la population mondiale, principalement en Afrique (le programme population 2000 de l'ONU en 1971 destiné à réduire la population mondiale).
Il a été inoculé à 100 millions de victimes en Afrique en 1977 par des campagnes de vaccination contre la malaria, la fièvre jaune, etc. Vaccins qui étaient intentionnellement infectés par le sida. Ces campagnes de vaccination génocidaires ont été faites par des missionnaires de l'OMS et des associations chrétiennes…
Il a aussi été inoculé à plus de 2 000 homosexuels américains en 1978 lors d'une campagne de vaccination contre l'hépatite B par le centre de contrôle des épidémies (Center For Disease Control) et par le New York Blood Center au cours de l'opération Trojan Horse (Cheval de Troie).
Toutes ces révélations, selon ce site militant, sont avérées et mis à disposition du public par le FBI qui comme l'oblige le Freedom of Information Act doit mettre ses archives à la disposition du public après 25 ans. »

Le négationnisme du sida, un danger pour la prévention

Le révisionnisme du sida n'est pas seulement un terrain de joute sur Internet pour adversaires et tenant de l'histoire ou de la science.
Il est permis d'imaginer que ces courants très présents sur le Net ont toujours un impact négatif en termes d'acceptation de la maladie mais aussi en termes de prévention, en allant jusqu'à avancer comme preuve de la non-existence du VIH le fait que le préservatif n'aurait « qu'un effet négligeable ».
Abandonnées des publications scientifiques, mal connues des associations de lutte contre le sida, inconnues des cliniciens, les théories révisionnistes du sida qui tournent sur le Net ont sans doute leur part de responsabilité dans le retard pris en Afrique comme aux Etats-Unis ou en Europe dans le dépistage et les politiques de réduction des risques sexuels. Comment se protéger d'un virus lorsque l'on nie son existence ?
Illustration : capture d'écran du documentaire « Les Origines du sida » de TV5.

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