samedi 12 novembre 2011

Les croyants se mobilisent contre le "rejet" des religions


Christianophobie, islamophobie, blasphème. Ces mots, nouveaux ou surgis du passé, semblent retrouver une vigueur rarement égalée. Désir des religieux d'établir "des frontières non "transgressables" et de rendre coup pour coup",comme le suggère l'anthropologue des religions Malek Chebel ? Symptômes de l'état d'esprit de groupes minoritaires ? Discriminations réelles, ou ressenties, par les croyants ? Crispations victimaires ou affichage identitaire face à une sécularisation inédite ? Les hypothèses ne manquent pas pour expliquer les postures, plus ou moins spectaculaires, désormais adoptées par les croyants.

Parce qu'ils la jugent "blasphématoire", parfois même sans l'avoir vue, des intégristes catholiques perturbent depuis une quinzaine de jours la représentation d'une pièce de théâtre à Paris. Parce qu'il avait annoncé la publication d'un numéro mettant en scène le prophète Mahomet, le journal Charlie Hebdo a vu son site Internet piraté au nom d'Allah et ses locaux incendiés, mercredi 2 novembre. L'enquête dira les motivations des incendiaires, mais la nouvelle provocation du magazine satirique a été l'occasion pour les musulmans de rappeler que la représentation du prophète de l'islam est considérée par la majorité d'entre eux comme une offense à Dieu, un blasphème.

"Pour la plupart des croyants, le prophète, messager de Dieu, bénéficie par dérivation de la sacralisation accordée à Dieu. Mais il n'est écrit nulle part dans le Coran que sa représentation est interdite", rappelle M. Chebel, traducteur du Coran. A ses yeux, l'invocation du blasphème constitue aussi "un cri de ralliement pour les gens qui se sentent minoritaires ou anathémisés". Il parie toutefois sur "la maturité des musulmans" de France "pour faire la part des choses entre dérision et blasphème".

"La réhabilitation de la notion de blasphème peut sembler anachronique aux non-croyants, de plus en plus nombreux, d'autant qu'historiquement le blasphémateur était forcément un fidèle, explique aussi le sociologue des religions, Olivier Bobineau. Aujourd'hui, dénoncer un blasphème est un moyen pour les croyants derappeler l'importance à leurs yeux du sacré ; cela peut aussi être compris comme un sursaut de foi dans une société déconfessionnalisée."

Les violences suscitées par des oeuvres ou des paroles jugées blasphématoires par des croyants ne sont pas nouvelles. En 1988, des intégristes catholiques avaient incendié le cinéma Saint-Michel, à Paris, qui projetait La Dernière Tentationdu Christ, de Martin Scorcese, blessant treize personnes. Mais ces modes d'action violents, portés par des groupes ultraminoritaires, sont généralement dénoncés par leurs coreligionnaires.

Ce qui, en revanche, apparaît plus nouveau est que le sentiment de dénigrement de la religion pointé par ces militants exaltés est largement partagé par le reste des croyants. "Devenus une minorité dans la société française, les catholiques n'acceptent plus la douleur face à un dénigrement qui était supportable quand ils étaient une majorité puis sante", analyse l'abbé Pierre-Hervé Grosjean. Ce jeune prêtre a suscité un débat dans la blogosphère catholique en prenant ses distances avec les intégristes manifestant contre la pièce de Romeo Castellucci.

Face à leur perception d'être "les mal-aimés" d'une société en grande partie indifférente, les catholiques cherchent de nouveaux moyens pour se faire entendre. Signe de cette préoccupation, le colloque prévu le 9 novembre à Paris, intitulé "Le christianisme aura-t-il encore sa place en Europe ?". Organisée par le mouvement Aide à l'Eglise en détresse (AED), reconnu par le Vatican et fondé pour soutenir les chrétiens persécutés, notamment dans les pays à majorité musulmane, cette journée de réflexion entend dénoncer "les discriminations contre les chrétiens et le rejet du christianisme en Europe, où la foi chrétienne et l'Eglise sont régulièrement ridiculisées ou ostracisées".

"Il s'agit de promouvoir la liberté religieuse", indique aussi Marc Fromager, directeur national de l'AED, qui constate "un mouvement de fond de reniement de notre culture". "La christianophobie touche aussi l'Occident", juge-t-il, citant l'exemple "de la culture ou du milieu de la santé où les personnels ont de plus en plus de mal àmettre en avant l'objection de conscience".

Dénoncé par le pape, dont l'entourage parle aussi désormais de "christianophobie", ce risque de "marginalisation du christianisme" en Europe a suscité la création d'un "Observatoire européen de l'intolérance et de la discrimination contre les chrétiens", soutenu par le Vatican. Il entend attirer l'attention sur "le retrait des symboles chrétiens de l'espace public, les stéréotypes négatifs dans les médias"ou les profanations d'églises et de cimetières, que les catholiques estiment insuffisamment dénoncées par les pouvoirs publics et les médias, par rapport aux mêmes actes commis sur des lieux juifs ou musulmans.

Engagée dans la dénonciation des discriminations supposément liées à la religion, la communauté musulmane a aussi haussé le ton ces dernières années. Organisé par le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), un colloque a réuni plusieurs centaines de personnes le 30 octobre, dans le but de "décréter l'état d'urgence face aux actes islamophobes".

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) promet pour décembre un bilan de ces actes et dénonce régulièrement un "climat antimusulman". Par capillarité, une même évolution semble donc se dessiner au sein des groupes religieux pour défendre la visibilité des religions dans l'espace public, revivifier la notion du "sacré" et (re)fixer leurs "valeurs non négociables".

Stéphanie Le Bars

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