Le 12 juillet 1562, Diego de Landa, évêque du Yucatan, fait allumer un grand bûcher sacrificiel. Il n'entend pas brûler des hommes, il veut brûler des livres. "Tous les livres de l'Amérique", résume Charlotte Arnauld, du laboratoire Archéologie des Amériques (CNRS et université Paris-I). Seuls trois codex en réchappent : ils sont aujourd'hui conservés à Paris, à Madrid et à Dresde. Mais outre la perte documentaire, l'autodafé de 1562 fait entrer l'écriture maya, utilisée depuis le Ve siècle avant notre ère, en clandestinité. Et il faudra attendre plus de quatre siècles pour qu'elle sorte de l'oubli et que les quelques milliers de textes mayas parvenus jusqu'au XXe siècle (inscriptions monumentales, textes sur céramiques, stèles, etc.) se remettent à parler.
Les dernières avancées sur le déchiffrement et l'apport des textes dans la compréhension du monde maya seront au centre de la XIIIe Conférence maya européenne, qui se tient à Paris, du 1er au 6 décembre au Musée du quai Branly. Outre le colloque scientifique, des ateliers d'épigraphie seront proposés au public afin de sensibiliser à cette discipline nouvelle, méconnue en France. Où les glyphes mayas passionnent beaucoup moins que les hiéroglyphes égyptiens ou les cunéiformes de Mésopotamie.
La raison tient peut-être à ce que le déchiffrement de la principale écriture méso-américaine n'a véritablement abouti que "tout récemment, dans la fin des années 1990", selon Mme Arnauld. Surtout, il ne s'est pas fondé sur l'éclair de génie d'un individu mais, au contraire, sur un long travail pluridisciplinaire, animé de débats et de controverses aussi âpres qu'hermétiques.
Les glyphes mayas n'ont pas leur Champollion. A moins que ce ne soit Diego de Landa lui-même... Car le franciscain ne fut pas seulement un allumeur de bûcher. Il fut aussi un explorateur curieux. En témoigne un ouvrage écrit en 1566 à son retour en Espagne, Relation des choses du Yucatan, dans lequel il se livre à un minutieux travail d'ethnographe. Hélas, le livre se perd et il faut attendre 1862 pour qu'un abbé français, Charles-Etienne Brasseur de Bourbourg, en retrouve une copie intègre à l'Académie royale d'art de Madrid. Avec, dessinée et établie par Landa lui-même, la correspondance entre l'alphabet latin et un "syllabaire maya".
Bien sûr, c'eût été trop simple. "Diego de Landa a cru que le système d'écriture maya était alphabétique, ce qui s'est avéré faux, raconte le mayaniste Philippe Nondédéo. Mais, malgré cette erreur, cette ‘‘Pierre de Rosette'' qu'il a dessinée s'est ensuite avérée essentielle pour le déchiffrement." Au XIXe siècle, alors que les hiéroglyphes égyptiens et les cunéiformes de Mésopotamie abandonnent leurs secrets, on redécouvre les textes des chroniqueurs et missionnaires espagnols. "C'est aussi à cette période qu'on comprend le système de numération et de décompte du temps. Les Mayas comptent le temps à partir d'une date mythique, origine qu'ils placent en 3114 avant J.-C., dit Mme Arnauld. Cela compris, on peut commencer à dater les monuments, mais on ne comprend toujours rien aux textes..." Il faut attendre les années 1950 et 1960, pour que trois personnalités apportent des contributions décisives.C'est d'abord un chercheur russe, Youri Knorosov qui, le premier, entrevoit le caractère dual des quelque 800 glyphes mayas - certains pouvant revêtir une valeur syllabique autant qu'une valeur logographique. C'est ensuite un amateur allemand, Heinrich Berlin, qui remarque l'existence de glyphes de nature "politique" - qu'il nommera glyphes-emblèmes - et dont chacun est associé au nom d'une cité.
C'est enfin une archéologue américaine d'origine russe, Tatiana Proskouriakoff, qui publie en 1960 une étude montrant que les textes ont un caractère historiographique. Sans pouvoir lire les textes, elle identifie des noms de rois, par exemple associés à un glyphe d'accession au trône ou de mise en captivité. Banale en apparence, l'avancée est capitale. Car le milieu du XXe siècle est traversé par un puissant courant de pensée, soutenu par des mayanistes de renom, selon lequel ces textes sur pierre n'ont aucune valeur historique. Qu'ils ne sont au mieux que des séries astronomiques absconses.
"On est aujourd'hui certains que cette vision était fausse", dit Mme Arnauld. Que racontent donc ces textes, dont la plupart sont écrits dans trois de la vingtaine de langues mayas ? "Ce sont souvent des livres de divination, des prophéties, des règles de bonne gouvernance, des cycles lunaires qui peuvent faire penser à nos vieux almanachs", dit M. Nondédéo.
Depuis les années 1990, lire le maya a permis de mieux comprendre l'organisation politique des Basses-Terres pendant la période classique (300 à 900 de notre ère). Celle-ci s'articule autour de deux grandes cités rivales, Tikal et Calakmul, chacune pouvant activer, en cas de nécessité, un réseau de cités alliées. Mais si le déchiffrement est aujourd'hui considéré comme acquis, les difficultés d'interprétation de certains textes demeurent considérables. "En 695, à l'issue d'une guerre entre les deux cités, le roi de Tikal dit avoir fait prisonnier son rival de Calakmul, illustre M. Nondédéo. Problème : on a retrouvé la tombe du roi de Calakmul, au milieu de sa cité... Il fallait en réalité comprendre que le roi de Tikal avait fait prisonnier le bouclier de son ennemi !"
Stéphane Foucart
Site de la Conférence maya européenne : http://wayeb.org
2008/
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