L'Assemblée nationale a adopté en première lecture, jeudi 7 juillet, une proposition de loi qui prévoit la mise en place d'une nouvelle carte d'identité. A l'image du passeport, cette dernière devrait contenir des données d'identité classiques, mais aussi certaines données biométriques du titulaire. Pour la majorité, ce dispositif devrait permettre de lutter contre les usurpations d'identité, considérées comme un délit depuis la loi Loppsi 2, qui toucheraient, d'après un sondage du Credoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie), environ 4 % de la population française.
Si cette nouvelle carte d'identité est validée définitivement, elle devrait conduire à la constitution d'un vaste "fichier central biométrique" contenant toutes les données des titulaires, soit "potentiellement 45 à 50 millions de personnes". Un élément qui provoque la colère de l'opposition, qui dénonce la création d'un "fichier policier", non plus "dans une démarche de reconnaissance d'identité, mais dans la logique d'un fichier de recherches criminelles".
PLUS DE DONNÉES COLLECTÉES
Cette nouvelle carte d'identité contiendra, dans une "puce régalienne", les noms, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, adresse, taille, couleur des yeux, empreintes digitales et photographie du titulaire. Mais le citoyen français devra désormais donner les empreintes de huit de ses doigts, contre deux pour la carte d'identité actuelle.
Ces données seront authentifiées grâce à leur enregistrement sur une base centrale, la base TES (titres électroniques sécurisés), déjà utilisée pour les passeports biométriques. Elles devraient être conservées dans le fichier central pendant une période de quinze ans, selon le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, même si cette durée n'apparaît pas dans la proposition de loi.
Une seconde puce dite "de services dématérialisés", facultative, pourra également être contenue dans la carte. Cette puce permettra au titulaire de "s'identifier sur les réseaux de communication électronique et de mettre en œuvre sa signature électronique". La puce sera lue grâce à un boîtier spécialement fourni, et permettra une identification en ligne qui devrait favoriser le commerce électronique.
Les deux puces conserveraient les données séparément, de sorte que les opérateurs privés ou les administrations ne pourront pas accéder aux données de la puce "régalienne".
UN FICHIER CONSULTABLE PAR LA POLICE JUDICIAIRE
Si la majorité maintient que l'objectif de ce dispositif est de lutter contre les usurpations d'identité, cette nouvelle carte d'identité pourrait avoir d'autres utilités. Le rapporteur de la proposition de loi au Sénat, Jean-René Lecerf (UMP), se félicite d'ailleurs que "l'Assemblée nationale souhaite une utilisation plus large pour des enquêtes de police judiciaire ou pour des cas de reconnaissance de cadavres après des catastrophes naturelles".
La proposition de loi précise en effet que les informations contenues dans le fichier central pourront notamment être consultées dans le cadre de "recherches criminelles sur réquisition de la justice". Un élargissement auquel s'était pourtant opposé dans un premier temps le Sénat, mais qui a été adopté en commission.
L'opposition critique vivement ce choix d'établir un "lien fort" entre les éléments biométriques et le détenteur de la carte d'identité. La députée PS Delphine Bathocritique d'ailleurs le fait que "le véritable objectif de ce texte" soit "le fichage biométrique de la totalité de la population à des fins de lutte contre la délinquance".
Cet élément avait déjà été critiqué lors de la mise en place par décret du passeport biométrique, le 30 septembre 2005. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) avait rendu un avis défavorable, estimant que les motivations sécuritaires "ne justifient pas la conservation, au plan national, de données biométriques telles que les empreintes digitales et que les traitements ainsi mis en œuvre seraient de nature à porter une atteinte excessive à la liberté individuelle". De nombreux recours avaient été déposés, dont l'un toujours en cours devant leConseil d'Etat.
DES RISQUES AU NIVEAU DE LA SÉCURITÉ
La polémique est d'autant plus forte pour la carte d'identité biométrique qu'elle risque de concerner plus de citoyens français. Si la majorité tempère en rappelant que les Français ne seront pas immédiatement soumis à l'obligation d'adopter la nouvelle carte d'identité biométrique, leur carte sera nécessairement remplacée par le nouveau modèle lorsqu'elle arrivera à échéance.
La question de la protection des données personnelles de la nouvelle carte d'identité fait également polémique. Dans une interview à L'Express, Jean-Claude Vitran, responsable du groupe de travail "libertés et technologie" de la Ligue des droits de l'homme, affirme que les puces "sont lisibles à distance par magnétisme ou grâce à des rayons infrarouges […] et les dernières générations de ces composants sont lisibles à des distances de plusieurs centaines de mètres !" De plus, elles seraient "faciles à copier", pour Jean-Claude Vitran, car "il suffit à un pirate de quelques euros et d'un lecteur de carte basique pour pouvoir les falsifier".
DÉRIVE COMMERCIALE
Lors du débat à l'Assemblée nationale, le député socialiste Serge Blisko s'est étonné de la mise en place d'une seconde puce, car "on ne peut que s'interroger sur ce détournement à des fins commerciales". La puce pourra en effet collecter des données sur les achats réalisés en ligne par le titulaire de la carte. "Le groupe socialiste au Sénat s'est interrogé sur le fait que cette deuxième puce 'services' soit gérée par le ministère de l'intérieur, car avez-vous besoin, en qualité de ministre de l'intérieur, de connaître les habitudes d'achat et de consommation ou les allées et venues de millions de citoyens ?" s'est interrogé Serge Blisko.
La proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale en des termes différents de ceux du Sénat. Pour qu'elle soit validée, un compromis devra être trouvé par une commission mixte paritaire composée de 7 députés et de 7 sénateurs. Jean-Claude Vitran a par ailleurs déjà annoncé que "quand la loi sera votée, la Ligue des droits de l'homme saisira la CNIL [dont l'avis n'est que consultatif] et déposera un recours devant le Conseil d'Etat".
Charlotte Chabas
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