jeudi 24 mars 2011

Les médias servent la démocratie fasciste et oligarchique


Le mal est profond mais indolore. Les médias offrent une représentation de la société et du monde complètement faussée, suscitant pratiquement un délire de représentation. Plusieurs exemples récents en témoignent. Réchauffement climatique, grippe H1N1, volcan islandais. Et maintenant, guerre contre la Libye, nuage radioactif, front républicain. Justement, le citoyen est en droit de s’interroger sur cette exacerbation face au vote FN lors de cantonales instrumentalisées par d’opportunistes partis qui les détournent en enjeu national. Se plaisant à commenter, pavoiser, tracer des enseignements en jouant sur les chiffres, alors qu’il n’y a aucun enseignement à tirer. D’ailleurs, la gauche n’est pas si triomphante, totalisant moins de la moitié des votes. Quant au FN, compte tenu de l’abstention, on devrait dire qu’il a recueilli moins de 7% des inscrits. La plupart des Français n’ont rien à cirer de voir un élu du FN siéger dans un Conseil général, éventualité qui n’empêchera pas un département d’être administré, pas plus qu’une Région n’est perturbée par la présence d’élus FN. Il faut une bonne dose d’obsession politicienne pour se prendre la tête sur cette question du front républicain, comme le fait le PS, intimant aux membres de l’UMP d’afficher un code moral, un peu à la manière d’un juriste de l’Inquisition demandant aux accusés d’avouer ou de se dédire. Le plus inquiétant, ce sont ces médias qui remplissent leurs journaux de cette polémique sans intérêt où l’on traque les mots, où l’on suppute les arrière-pensées, où l’on tente de faire croire à une fracture entre Fillon et Sarkozy sur la base d’une divergence amplifiée démesurément par le miroir grossissant médiatique. Faisant de cet insignifiant enjeu une question d’Etat et d’honneur national.

Les médias livrent une pièce de théâtre jouée par les politiciens. Les médias ne montrent ni le monde, ni la France, ni les gens. Ils offrent le spectacle d’un simulacre de vie politique. Traduction de simulacre en grec ancien, eidôlon. L’idole. Les médias fabriquent des idoles. Naguère, Sylvie, Sheila et Johnny. Maintenant, DSK, Sarkozy, Royal ou Mélenchon apparaissent telles des idoles livrées à l’adhésion des masses citoyennes. Les médias à grande diffusion se sont constitués en instruments au service d’intérêts nécessitant la diffusion en masse d’informations, messages et images. Les masses citoyennes sont irriguées par un faisceau de séquences. Avec le mot faisceau on forme le mot fascisme et fascination. Les médias servent les intérêts de puissances sectorielles. Inversement, des secteurs de la société sont devenus des puissances grâce aux médias, ou se sont renforcés. Les mondes de la politique, du spectacle, de la finance, de l’industrie culturelle, sont façonnés par l’augmentation de pouvoir et de puissance qu’offrent les médias à grande diffusion. Le média de masse est un mur qui sépare ceux qui diffusent et ceux qui sont irradiés par les séquences. Le pouvoir s’exerce derrière ce mur qui produit des séquences. Le journaliste tente bien de croire qu’il est l’arbitre, qu’il est le juge distributif, le magistrat équilibrant les droits du diffuseur et des infusés. Mais non, c’est une illusion. Ceux qui pensent autrement se racontent des histoires. Le journaliste est une partie intégrante du système qui domine, qui exerce le pouvoir et la puissance depuis la citadelle médiatique. Le système permet de gagner des voix, des postes et beaucoup d’argent pour ceux qui s’offrent de la pub chèrement payée, comme n’importe quelle firme le fait, ou de la pub offerte gratuitement, on appelle cela la promotion. Des célébrités comme Johnny, Pagny, Dubosc, Noah, ou Depardieu ou tant d’autres, bénéficient de dizaines de minutes de publicité gratuite offerte gracieusement par les grandes chaînes privées mais aussi la télévision d’Etat. Sans pour autant incarner la quintessence de l’art.

Les médias de masse ne sont pas un quatrième pouvoir comme l’ont décrété naguère quelques intellectuels désinvoltes, ni un contre-pouvoir comme l’ont suggéré récemment quelques penseurs soucieux de corriger le tir. Les médias constituent un pouvoir dont le mécanisme est différent. C’est donc un autre pouvoir, d’essence différente, qui agit selon le processus de l’influence. Les citoyens sont placés sous influence, le plus souvent à leur insu. Il est pratiquement acquis que les avantages évolutifs reposent sur le développement du système cognitif animal. Les sociétés humaines ont transposé l’avantage adaptatif en quantité de pouvoir et de puissance. Là aussi le système cognitif joue un rôle essentiel. Foucault l’avait bien montré. Le savoir est au service du pouvoir. Le savoir permet d’obtenir un avantage, domination, soumission des masses, manipulation, avantages particuliers, pouvoir politique, profits économiques. Le jeu n’est pas forcément équitable. Les dominants exercent leur domination en jouant sur l’asymétrie d’information et l’usage des médias capable de mettre les dominés sous influence.

L’influence médiatique se joue sous la gouverne de deux facteurs. L’un, humain, lié à l’intention dominante et à l’intelligence cognitive des puissants qui savent et manipulent avec un instinct sans faille les instruments leur conférant un avantage pour leurs affaires. L’autre, lié à la nature du média et au format nécessairement limité et court qui ne permet pas aux intervenants de développer la controverse, la contradiction, la complexité. Les courtes séquences, les images choc et les phrases percutantes sont privilégiées. Celui qui parle est obligé de se plier à cet effort de raccourcissement, ce qui ne pose pas de problème à ceux qui n’ont rien à dire, comme par exemple les sportifs, mais lamine toute la subtilité d’une longue analyse sociologique ou politique. Le mécanisme de l’entonnoir rétrécit le monde. Les marronniers du moment se pressent dans les tuyaux médiatiques, engendrant une thrombose événementielle et névrotique à l’occasion de faits divers ou de polémiques exacerbées. Le monde représenté par les médias est comme réduit, avec des scènes et séquences, bruits et images ; un monde passé au tamis d’un miroir assez déformant, créant une image instantanée et partielle, pour ne pas dire partiale ou même spartiate. On apprend qu’il faut absolument frapper Kadhafi parce qu’il projette de massacrer son peuple. Les mots ne sont pas choisis au hasard. On ne doit pas jouer avec les mots a dit Medvedev à Poutine qui a parlé de croisade, au risque de raviver le ressentiment islamique à l’égard de l’Occident. Guéant s’est laissé prendre au piège des mots. C’est un peu son bizutage de haut fonctionnaire promu ministre. Pendant ce temps, les bombes font des morts et Kadhafi continue sa guerre pour rester au pouvoir. La comédie médiatique nous dira quelques mots sur le clash entre Marine Le Pen et Dany Boon. La représentation du monde est faussée, orientée par ceux qui ont accès aux plateaux de télé et aux studios de radios.

Dans un tel contexte, la démocratie classique est morte, livrée au fascisme des simulacres et autres idoles venus diffuser leur manière de voir. La démocratie représentative place au pouvoir des élus représentant les aspirations du peuple. Dans la démocratie fasciste et oligarchique, une caste accapare les leviers du pouvoir en manipulant la représentation populaire. Le principe est complètement inversé. Le peuple n’est qu’un exécutant qui agit pour servir les aspirations des dirigeants et autres idoles venus faire leurs affaires en se servant des gens. Des chanteurs médiocres, comme Noah, Biolay ou Maé, vendent un million de disques. L’axe de ce basculement économique et politique, c’est le système médiatique. On comprend que le peuple s’éloigne des dirigeants, se sentant inconsciemment floué, escroqué, manipulé, mais ce même peuple suit les modes, les chanteurs de merde, les nouveaux comiques troupiers.

Les politiciens projettent sur la société française leurs propres fantasmes. Le peuple ne sait plus où donner de la tête. Les dirigeants prétendent savoir ce que doit être la société, la civilisation. Ils fabriquent la société selon leurs plans, une société pas pour que les gens y vivent mais pour que eux prospèrent. Dans le fascisme médiatique, les zélites font en sorte que le peuple agisse pour leurs propres intérêts, au service d’une volonté qui accomplit leur représentation, avec l’appui des médias diffusant ces représentations. Quand les peuples auront compris ce mécanisme, la société changera. Mais rien ne dit que l’humain aille plus loin que son intelligence limitée par sa démission et ses désirs prosaïques. Auquel cas, la civilisation se détruira dans le fascisme universel. C’est pour bientôt, quelques décennies. Une autre option verrait les philosophes entrer en scène pour éclairer les peuples de représentations inédites de sociétés avenir. Mais les médias poursuivront leur œuvre au noir. Les nouvelles lumières ne sont pas prêtes d’émerger à moins que des règles nouvelles naissent dans les médias.

Bernard Dugué

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